Communiqué du Comité juridique international de la FNDP
Par la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le législateur est venu insérer dans le Code civil un alinéa 3 à l’article 913 du Code civil aux termes duquel « Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci ».
L’objectif affiché du législateur était de lutter contre les lois étrangères successorales instaurant une discrimination fondée sur le sexe. Il a néanmoins été montré que ce but ne sera pas atteint puisque la mise en œuvre du prélèvement compensatoire suppose d’établir que la loi étrangère « ne permette aucun mécanisme réservataire ». Or les lois étrangères discriminatoires fondées sur un postulat religieux connaissent toutes la réserve héréditaire[1].
Outre le fait que le but poursuivi ne pourra pas être atteint, la conformité de la disposition au droit de l’Union européenne se pose. En effet, depuis le 17 août 2015, le règlement n°650/2012 du 4 juillet 2012 s’applique en matière successorale dans tous les Etats membres de l’UE, à l’exception du Danemark et de l’Irlande. Ce texte pose le principe de l’unicité de la loi applicable, qu’elle soit choisie (art. 22) ou objectivement désignée (art. 21), et ne permet d’écarter la loi étrangère désignée par la règle de conflit que si elle heurte l’ordre public international (art. 35). Or, en mettant à mal l’unicité de la loi successorale étrangère applicable sans pour autant que, tant dans ses conditions que dans ses effets, il puisse répondre au mécanisme correcteur de l’ordre public, le prélèvement compensatoire du droit français heurte frontalement aussi bien la lettre que l’esprit du règlement européen[2].
Dans ces conditions, la France s’expose à une procédure d’infraction pouvant conduire à une constatation en manquement par la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans un tel contexte, un projet de code de droit international privé a été élaboré qui prévoit l’abrogation du droit de prélèvement actuel et sa substitution par un autre mécanisme de lutte contre les lois discriminatoires, conforme aux engagements internationaux de la France (art. 84).
Le Comité juridique international de la FNDP a publié sur cette disposition un rapport montrant tout l’intérêt qu’il y aurait à l’adopter[3].
Le Comité juridique international de la FNDP souhaite attirer l’attention sur le fait que l’abrogation de l’article 913 alinéa 3 du Code civil et l’adoption de l’article 84 du projet de Code de droit international privé ne signifie pas pour autant qu’en dehors de tout cas de discrimination légale l’ordre juridique français n’entend plus protéger la réserve héréditaire. Demeure la possibilité conformément aux arrêts de la Cour de cassation du 27 septembre 2017 d’écarter une loi étrangère qui laisserait un héritier en situation de besoin ou de précarité économique. Les modalités de mise en œuvre de cette jurisprudence ont notamment été exposées dans un rapport du comité juridique interne de la FNDP[4].
En conséquence, le comité juridique international de la FNDP émet le communiqué suivant :
Afin d’éviter toute condamnation de la France au niveau européen, il serait souhaitable que l’article 913 alinéa 3 du Code civil soit abrogé. Pour assurer la protection des héritiers contre des lois discriminatoires, l’article 84 du projet de Code de droit international privé pourrait être adopté.
L’exception d’ordre public international dont le règlement européen réserve l’application à l’article 35 pourrait être mobilisée, dans le prolongement des arrêts du 27 septembre 2017, afin d’écarter les lois successorales étrangères laissant les héritiers en état de besoin ou de précarité économique.
[1] Rapport du groupe de travail, La réserve héréditaire, p. 36 et s., et les réf.
[2] V. notamment, G. Khairallah,Le principe de primauté du droit de l’Union européenne, le notaire et l’article 913 : JCP N 2021 1347 ; S. Godechot-Patris, Incertitudes sur l’avenir européen de l’article 913 alinéa 3 du Code civil, Droit et Patrimoine, Septembre 2022, n°327, p. 47 s. ;
[3] B. Mathieu, Le droit de prélèvement dans le projet de code de droit international privé, Ingénierie patrimoniale, 2024-3, n°7.5.
[4] E. Fongaro et E. Naudin, « Comment calculer le montant de la réserve héréditaire en cas d’atteinte à l’ordre public international », JCP N 2019. 1193